C’est au cours d’un partenariat avec l’exposition J’y crois, j’y crois pas autour de la sorcellerie au Champs libres à Rennes que le ciné-club Le Tambour choisit de consacrer une soirée autour de cette question. Le couple art et ésotérisme accouche souvent d’enfants hors normes et c’est donc intriguée que je me suis rendue à la projection.

La séance de 20h30 était consacrée à l’oeuvre du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures tandis que celle de 18h projetait la version 4K de 2016 de la Belladonna of Sadness de Eiichi Yamamoto.

Un peu de contexte avant toute chose:

Il s’agit là du troisième opus d’Animerama, série de trois animés pour adultes, d’Oamu Tezuka dont l’influence reste visible même s’il n’a pas participé à la réalisation. Sa sortie en 1973 rencontre un faible succès malgré une nomination à l’Ours d’or au Festival de Berlin. Belladonna est notamment le dernier film des studios Mushi Production avant la faillite de ceux-ci. Dernière pièce du triptyque de Tezuka, il s’agit là d’un véritable ovni.

Ce chef d’oeuvre visuel a cependant inspiré et inspire encore de nombreux artistes tout domaines confondus.

La figure de la sorcière: un pamphlet féministe

Le synopsis s’inscrit dans l’époque médiévale. Deux paysans, Jean et Jeanne s’aiment et vont demander l’autorisation du seigneur du village afin de se marier. Celui-ci fait néanmoins valoir son droit de cuissage et laisse sa garnison violer sauvagement la pauvre Jeanne.  Les deux jeunes gens, traumatisés ne s’en remettront pas. Jean, honteux et déshonoré, délaisse Jeanne qui s’enfuit dans la forêt et pactise avec le Diable.

Il est très rapidement visible que l’inspiration première de la Belladonna est le traitement de la figure de la “Sorcière” dans la littérature contemporaine. La plus grande influence de toute semble ainsi être Jules Michelet et son essai éponyme, La Sorcière.

Le réalisateur tout comme l’écrivain s’intéresse ainsi à l’image et au pouvoir de la gente féminine dans une société largement dominée par les hommes. La sorcière, grande prêtresse et autre ensorceleuse est, en effet, devenu depuis quelques décennies une sorte d’icône de la lutte pour  l’empowerment des femmes. Ce dont il s’agit ici, en effet, c’est d’une femme bafouée qui se transforme alors en un symbole de révolte mais surtout.. de puissance, d’autorité et donc un dangereux ennemi du pouvoir en place.

L’être charismatique se fait créature du démon, condamnable. L’usage de l’animation permet alors d’appuyer un propos qui se veut dénonciateur. Il permet également et surtout d’instaurer un dialogue avec le subconscient du spectateur sans en retirer quelque violence.

Le discours de Jules Michelet s’inscrit alors dans la mouvance de libération sexuelle mais aussi féministe en pleine expansion au moment de la sortie de cette Belladonna sur les écrans.

Sex, drugs et kaléidoscope

Ce qui fait de ce film un véritable objet non identifiable c’est avant tout son univers esthétique. Lui aussi s’inscrit dans son époque et porte la marque de cette période prolifique dont elle emprunte une certaine attirance pour le kaléidoscope et le mandala.

Polymorphe, le graphisme alterne fusain, papier collé, aquarelle et encre sous la direction artistique de Kurni Fuksi. On y retrouve de nombreuses références picturales telles que Gustav Klimt ou l’Art Nouveau. La représentation du viol ou, encore des sabbats païens dans la forêt emmenés par Jeanne sont imprégnés de cette esthétique psychédélique presque psychotique. La suggestion furieuse et organique des couleurs et des formes permet ainsi de traduire une violence qui surpasse le visible.

C’est ainsi dans un véritable trip embrumés de vapeurs de belladone et de LSD que nous plonge la Belladonna of sadness à la suite de ses fidèles. Un sabbat coloré enlevé par une bande son superbe pour une oeuvre et un combat qui n’ont (malheureusement) pas pris une ride.

Les graphismes, la musique … chaque partie du film de Eiichi Yamamoto est un véritable chef d’oeuvre. La musique originale de Massako Satô a d’ailleurs fait l’objet d’un vinyle tandis que le maître Hayao Miyazaki avoue avoir été fortement influencé par le travail d’Eiichi Yamamoto sur cet Animerama. Quoiqu’il en soit, et malgré une violence certaine du discours, Belladonna of Sadness est une formidable expression du bouillonnement artistique et sociétal de son époque.