#ExploCine: Black&White/ Lolita , Kubrick et la bienséance

L’habit ne fait pas le moine

Expression plus que courante mais qui semble tout à fait convenir au Lolita de Stanley “Grand Maître” Kubrick. Le réalisateur de Shining et Orange Mécanique (entre autres chef d’oeuvre) est, en effet, fasciné par le roman éponyme du russe Vladimir Nabokov sorti en 1955. Il s’agit là de l’une des premières oeuvres à briser le tabou de la pédophilie en un temps où le Code Hays est encore en vigueur. L’auteur, surtout, choisit le point de vue de l’abuseur, ce qui continue d’entretenir le malaise. Il ne le discrimine en rien mais apporte un regard nouveau autour de la question de la mentalité criminelle. 

Kubrick n’en achètera les droits qu’en 1958 notamment en raison de la censure et des interdictions multiples du roman. Ce n’est qu’en 1962 que sort finalement la première adaptation à l’écran des émois et déboires de la jeune Lolita et de son beau père Humbert. 

Petit point scénario : Durant l’été, dans la petite ville de Ramslade, Humbert Humbert, un professeur de lettres, divorcé et séduisant, loue une chambre dans la maison de Charlotte Haze, une matrone éprise de culture. Celle ci essaie de séduire Humbert mais ce dernier se montre beaucoup plus attiré par sa fille, la juvénile Lolita. 

Si le livre fait sortir de l’ombre ce qui était jusqu’alors un obscur tabou, le film et surtout la polémique qu’il crée nous en apprend beaucoup sur notre bienséance si codifiée.  

Petits secrets de tournage

Le tournage du film, déjà, ne fut pas une mince affaire. Kubrick dû, en effet, interrompre sa réflexion autour du projet, très tôt après en avoir acquis les droits, pour aller remplacer Anthony Manne sur le set de Spartacus. 

Fun fact : Nabokov écrit un scénario au début du projet d’adaptation. Scénario dont Kubrick ne se servira que partiellement même si le nom de l’auteur figure au générique. 

Le choix des acteurs ne fut pas de tout repos non plus. De nombreux interprètes renommés ont ainsi refusé le rôle de Humbert comme, par exemple : Cary Grant, Errol Flynn, Charles Boyer… Un refus somme toute compréhensible lorsque l’on connaît les penchants légèrement machiavéliques et pervers du personnage. Ce sera finalement James Mason qui entrera dans le rôle. 

La jeune actrice Sue Lyon, inconnue à l’époque, se souvient d’une audition quelque peu atypique pour un personnage qui ne l’était pas moins. 

Le place de Humbert 

Lolita c’est donc un homme mature attiré par la jeune (très jeune) Dolorès “Lolita” Haze. Humbert va tenter manipulations et autres stratagèmes pour rester auprès de notre charmante demoiselle. Le livre nous en apprend même davantage sur son attirance pour les “nymphettes” c’est à dire de jeunes filles juste avant que la puberté ne les “pourissent”. Ambiance. 

Dolores en fait cependant baver au professeur Humbert. Ce sont ainsi de petits coups répétés et réflexions que Dolorès en rupture avec son âge inflige à notre professeur de lettres. Celui ci malgré ses scènes de jalousie régulières et violentes laisse tout de même la jeune fille faire. 

Kubrick réussit ainsi à rendre presque sympathique le personnage d’Humbert. On pourrait croire à l’histoire de l’amoureux transi, incapable de contrôler ses sentiments. Ce ne sont toutefois pas eux qui le torture mais bien ses instincts et son inconscient marqué par un amour de jeunesse tragiquement décédé et qu’il recherche désormais en toutes les jeunes filles qu’il croise. 

Masque coupable 

Cette tempête psychiatrique peut alors s’incarner dans le personnage de Clare Quilty. Il est à noter d’ailleurs que son nom même ressemble à s’y méprendre au terme “guilty” (fr: coupable). C’est ainsi, plus qu’un rival amoureux, la conscience d’Humbert aux multiples visages qui rôde au dessus de lui où qu’il aille. Quilty l’intriguant, le chasseur nous montre ainsi le côté sombre d’un Humbert qui va jusqu’à séduire la mère de Dolorès pour rester auprès d’elle. Les déguisements de Quilty en policier également, moralisateur, pourrait également nous faire penser au surmoi du professeur dans une vision freudienne de notre affaire. 

Si l’on va un peu plus loin, on peut également voir dans son regard derrière un journal, une critique d’une société qui observe, qui sait mais se cache derrière ses manuels de bonne conduite. 

Tout n’est pas si noir et blanc et c’est finalement le plus grand scandale révélé par Lolita. Saluons d’ailleurs au passage la performance de Peter Sellers qui lui vaudra de collaborer à nouveau avec Stanley par la suite.

La censure 

Le film comme on peut s’y attendre est pris en otage par la censure avant même sa sortie et ce malgré le travail de Kubrick pour minimiser les dégâts. 

Dolores n’a, ainsi, plus 12 ans comme dans le roman mais 14 et l’actrice, elle même, Sue Lyon en a 16. Elle fut d’ailleurs prise pour son physique mûr afin de ne pas pousser le vice plus qu’il n’en faut. Le réalisateur a, de plus, opté pour un fondu au noir dès qu’une scène s’annonce un peu trop olé olé. 

Le film, qui se souhaite respectueux de l’oeuvre, a donc subit un très gros traitement de censure. Le code Hays encore en vigueur dans les studios Hollywoodiens de l’époque supprime, en effet, systématiquement nudité, moqueries envers la religion, appel à la dépravation… De nombreux films de cette “époque Hays” présentent cependant des trésors d’ingéniosité pour suggérer sans montrer. Le générique de Lolita, par exemple, en est un bel exemple, comme un pied de nez (vous l’avez ?) à la bien pensance. 

Scandaleusement vôtre 

Le film fut tout de même interdit aux moins de 18 ans à sa sortie en salle. Ce qui est assez risible lorsque l’on pense que Sue Lyon, l’actrice principale donc, n’a pas été autorisée à se rendre à l’avant première en raison de son âge. 

Lolita et son réalisateur Kubrick s’attireront cependant les foudres des deux côtés. Les ligues de bienséances crient tout de même au scandale. Les admirateurs du livre, quant à eux, sont déçus du manque d’initiative d’un film qu’ils trouvent trop lisse. 

L’auteur de l’oeuvre originale, Vladimir Nabokov, se demandera au cours d’une interview : “Comment ont ils pu tourner Lolita ?”. Exclamation reprise d’ailleurs dans la bande annonce dudit film. Kubrick, lui même, déclare plus tard  “Si je savais à quoi je m’ exposais, je n’aurai pas tourné Lolita” . Le sujet est effectivement épineux et s’oppose à une foule d’opinions contradictoires et parfois violentes auprès du public. Le film est, malgré (ou grâce) au scandale, très souvent cité au panthéon cinématographique. Ne serait ce que par la difficulté de tourner un sujet si délicat avec toutes les contraintes qu’il impose. 

Lolita a tout de même le mérite de déverrouiller le tabou autour de la pédophilie et des maladies mentales et autres traumatismes ou, communément appelés “perversion” sans autre forme d’analyse. Lolita nous choque, oui, mais elle nous ouvre les yeux au canif.

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