#Explociné : Le Lauréat, manifeste d’une époque

Si il est UN film à retenir de la fin des sixties, c’est bien Le Lauréat ! S’il est souvent éclipsé au profit du célèbre Easy Rider, Le Lauréat, adapté par Mike Nichols d’après un roman en grande partie autobiographique de Charles Webb (selon ce dernier),pourtant, est un vrai condensé de la révolte culturelle qui se trame à ce moment précis. Là où Easy Rider explore les limites d’un mouvement sur le déclin, il se pose en véritable manifeste de ce même mouvement qui vit alors son heure de gloire. Un classique donc, tant dans le discours qu’il déploie que par sa forme avec des plans inhabituels pour l’époque et qui lui aura valu d’être considéré comme le point de départ du Nouvel Hollywood. 

Les femmes au pouvoir 

L’un des premiers éléments de rupture est la place qu’occupent les femmes tout au long du film. Alors, certes, il y a encore du chemin à faire. Les personnages féminins sont encore très marqués par la dichotomie de la vierge (Elaine) et de la putain (Mrs Robinson). Elles occupent cependant une place centrale dans l’action. Benjamin est ballotté entre deux femmes et leurs décisions de sorte que ce sont elles qui mènent la danse. Notre héros désabusé aurait pu se laisser guider par une figure paternelle, un mentor, un gourou mais ce sont les femmes Robinson qui l’entraîneront dans un imbroglio presque oedipien. On est alors tenté de faire le lien avec le revival des mouvements féministes de cette époque et notamment le Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell ou Witch. 

L’affiche, elle-même, traduit cette nouvelle place que commencent à se faire les femmes. On y voit, en effet, Benjamin posant avec une panthère noire, un symbole sensuel mais non moins dangereux. 

La sexualité 

La figure de la panthère, et plus largement du félin, est, en effet, largement associée aux femmes. Sa beauté, ses traits fins mais aussi ses mouvements souples ont très tôt inspiré ce lien dans l’imaginaire collectif dont le fameux chat noir, familier des sorcières en est l’exemple le plus répandu. On eût dit même qu’une sorcière pouvait se transformer en chat à l’envie.

Le félin, par ses mouvements lascifs, est aussi associé à la sexualité et surtout à la sensualité féminine. Dans Le Lauréat, le sexe prend en effet une toute nouvelle place. On en parle, il fait partie de l’initiation de Benjamin comme n’importe quel domaine de la vie mais surtout on parle du désir de Mrs Robinson, délaissée par son mari ou encore de sa grossesse. N’oublions pas, non plus, les célèbres plans subliminaux de poitrine féminine. Une approche résolument moderne du sexe à l’écran qui fait écho à la libération sexuelle de cette fin des sixties. 

Jeunesse et révolte 

Le film dans son ensemble est donc un condensé de la pensée des sixties. Il transpire de cette rupture entre une jeunesse avide d’expérience et un système dans lequel elle ne se reconnaît pas. Plusieurs scènes traduisent ainsi ce détachement de façon presque littérale. La scène du cadeau du père du jeune diplômé à celui-ci, par exemple, en est une allégorie aussi criante qu’un tableau. Engoncé dans un scaphandre peu pratique, Benjamin se voit obligé de faire une démonstration de l’équipement devant tout un parterre de relations de ses parents. Ne voulant pas les embarrasser, il saute dans la piscine sous le regard de tous qui le regarde plonger avec une joie polie. Son hublot devient son seul moyen de voir autour de lui mais son tuba l’empêche d’interagir. 

La scène d’ouverture, déjà, nous présentait également un Benjamin blasé à l’aéroport. Il se laisse glisser le long du tapis roulant sans aucune expression. Des visages, des silhouettes passent sans lui prêter la moindre attention (il ne leur en prête pas non plus). On ne peut en distinguer réellement l’une ou l’autre et elles ne semblent être que des ombres colorées prise dans un ballet monotone sur le superbe The sound of Silence de Simon and Garfunkel. 

Une bande son, d’ailleurs, qui restera estampillée sixties pour les décennies à venir. 

Le Lauréat fait partie de la liste des films à voir avant de mourir. Par son sujet, le traitement qui en est fait, ses personnages et sa mise en scène, il casse les codes de l’ancienne garde et met en place ce qui devra le nouvel Hollywood. Surtout, le film de Mike Nichols cristallise toute une génération plongée dans une époque de grands changements sociétaux. Il déclare une nouvelle approche du monde mais laisse toutefois planer le doute quand à sa mise en pratique à l’image de sa scène finale qui laisse libre cours à l’interprétation. 

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